Ces leçons ne sont données qu'à titre indicatif et pour la seule joie de pouvoir communier avec les Pères et Frères de Chartreuse en la vigile de Tous Les Saints.
1er novembre
Tous
les Saints
1
Sermon de saint Bernard
PL 183, 476.477-482
Sermon 5 pour la fête de tous les Saints, 2-3.5-6.9-11.
En cette fête de Tous les Saints, nous devons
honorer tout spécialement ces saints qui viennent de la grande
épreuve, et ont lavé leurs vêtements, les purifiant dans le sang
de l'Agneau 1. Ils ont beaucoup combattu et
maintenant ils triomphent dans les cieux. Déjà, ils reçoivent la
couronne réservée à ceux qui ont lutté selon les règles 2.
Avons-nous aujourd'hui d'autres saints à célébrer ?
Certes, oui. Mais ils sont cachés à nos yeux :
ce sont ceux-là qui, aujourd'hui encore, peinent, luttent, courent,
sans avoir pour autant remporté le prix 3.
Leur donner ce titre peut sembler être une témérité
de ma part. Mais je connais l'un d'entre eux qui a osé dire à
Dieu : “Veille sur moi car je suis saint.4”
L'Apôtre, si familier des secrets divins, ne dit-il pas plus
clairement encore : Nous savons que tout concourt au bien de
ceux qui aiment Dieu et qui, selon son intention, sont appelés
saints 5.
Cette notion de la sainteté semble donc recevoir
divers sens :
– on dira des uns qu'ils sont saints parce qu'ils
sont arrivés au au terme de la perfection,
– on dira des autres qu'ils sont saints parce
qu'ils sont seulement, au moins pour l'instant, appelés à l'être.
2
La sainteté selon la
dernière acception est donc une sainteté cachée entre les mains
de Dieu 6 : une sainteté secrète qu'on
honore en secret. En effet : l'homme ne sait s'il mérite
l'amour ou la haine ; pour tout homme l'avenir reste
incertain 6.
Puisse donc le cœur de Dieu être en fête aussi
pour ces saints-là ; lui qui connaît les siens 7,
sait ceux qu'il a choisi 8 dès l'origine.
Puissent ces esprits dont la mission est
d'assister ceux qui hériteront du salut 9 être
aussi en fête à leur propos.
Quant à nous, nous ne nous reconnaissons pas le
droit de louer un homme durant sa vie 10.
Comment pourrions-nous louer, en cette vie si incertaine, quelqu'un
avec certitude ? L'athlète ne reçoit la couronne que s'il a
lutté selon les règles 11. Et ces règles du
combat, nous les entendons de la bouche même du Législateur :
Celui qui aura persévéré jusqu'au bout, celui-là sera
sauvé 12.
Le connaissons-nous celui qui luttera selon les
règles, qui persévérera et qui recevra la couronne ?
Vénérons donc, mes frères, ceux dont la victoire
est désormais acquise. Faisons le fidèle éloge de ceux dont nous
pouvons partager la joie avec certitude parce qu'ils ont reçu la
couronne.
3
A quoi sert de louer les saints ? A quoi
sert-il de les glorifier, de célébrer cette fête solennelle ?
A quoi servent les honneurs de la terre, pour ceux que le Père
céleste lui-même honore, selon la promesse indéfectible de son
Fils13 ? Que leur font nos éloges ? Ils ont la
plénitude.
Assurément, frères très
chers : les saints n'ont pas besoin de nos louanges ; notre
dévotion ne les enrichit pas. C'est à nous que profite la
vénération rendue à leur mémoire, ce n'est pas à eux.
Voulez-vous savoir combien elle nous profite ? Je vous avouerai
que je sens s'enflammer en moi un grand désir au souvenir des
saints. On dit communément : ce que l'œil ne voit pas, le cœur
ne le sent pas. Mon œil, c'est ma mémoire. Se souvenir des saints,
c'est en quelque sorte les voir. Telle est notre part sur la terre
des vivants14 ; et cette part n'est pas médiocre, si
toutefois notre souvenir, comme il convient, est accompagné d'amour.
De cette façon, nous sommes citoyens des cieux15 ;
mais pas comme eux : les saints le sont par tout leur être,
nous le sommes par le désir.
4
Quand donc serons-nous réunis à nos pères 16 ?
Quand les rencontrerons-nous personnellement ? Tel est le
premier désir qu'éveille ou stimule en nous le souvenir des
saints : pouvoir jouir de leur compagnie si attirante, mériter
d'être les concitoyens et les compagnons des esprits bienheureux,
mériter aussi de nous mêler aux patriarches, de rejoindre les rangs
des prophètes, le sénat des apôtres, les armées innombrables des
martyrs, les assemblées des confesseurs, les chœurs des vierges ;
bref, communier à l'allégresse de tous les saints.
Le souvenir de chacun d'eux est comme une étincelle
distincte, ou plutôt comme une torche incandescente qui embrase
l'âme croyante et lui communique la soif de les voir et de les
étreindre, au point de se croire souvent au milieu d'eux. Le cœur
s'élance, avec une ardeur véhémente, tantôt vers l'un, tantôt
vers l'autre, tantôt vers tous. Du reste, de quelle négligence, de
quelle paresse, de quelle lâcheté, ne serions-nous pas coupables,
si nos affections et nos soupirs ne nous arrachaient pas à cette
terre pour nous projeter en esprit vers cette bienheureuse société ?
5
L'assemblée des
premiers-nés 17 dans les cieux est toute prête
à nous accueillir, et nous n'en tenons pas compte ; les saints
nous désirent, nous en faisons peu de cas ; les justes nous
attendent, et nous feignons de les ignorer. Réveillons-nous une
bonne fois, mes frères : ressuscitons avec le Christ,
recherchons les réalités d'en haut 18, ayons
le goût de ces réalités. Désirons ceux qui nous désirent,
hâtons-nous vers ceux qui sont prêts à nous accueillir, prévenons
de nos aspirations ceux qui nous attendent. Dans la communauté que
nous formons en ce monde, on ne trouve en vérité ni la sécurité,
ni la perfection, ni le repos ; et pourtant, comme il est
bon, comme il est doux, déjà, pour des frères de
vivre ensemble et d'être unis 19 !
Toutes les contrariétés qui nous arrivent, du dedans ou du dehors,
deviennent plus supportables grâce à la communion avec des frères
qui nous sont si intimes, avec qui nous avons un seul cœur et une
seule âme, en Dieu20. Combien plus douce alors, plus
savoureuse, plus heureuse sera l'union vécue au ciel, où ne
subsistera plus aucune trace de méfiance, aucun sujet de discorde,
où tous seront liés ensemble par le lien infrangible d'une charité
parfaite, où nous serons un comme le Père et le Fils21.
Désirons non seulement la compagnie des saints,
mais leur bonheur ; nous aspirons à les rencontrer, aspirons
aussi avec ardeur à partager leur gloire. Cette ambition n'a rien de
funeste, ce désir de gloire ne court aucun risque.
6
Voici un second désir que le souvenir des saints
allume en nous : nous voudrions que le Christ, notre vie, se
montre à nous comme il s'est montré à eux, afin que nous aussi
paraissions avec lui en pleine gloire22. Mais, entre
temps, notre Chef nous apparaît non pas tel qu'il est, mais tel
qu'il est devenu pour nous sauver : couronné, non pas de
gloire, mais des épines de nos péchés. Ainsi parle l'Écriture :
Venez contempler, filles de Sion, le roi Salomon avec le diadème
dont sa mère l'a couronné 23. Quel roi et quel
diadème ! Rougissez donc de rechercher la gloire, vous les
membres dont le Chef est humilié à ce point. Il n'est ni beau ni
brillant pour attirer les regards, son extérieur n'a rien pour nous
plaire 24. Quoi d'étonnant, puisqu'il s'appelle
Salomon, c'est-à-dire le Pacifique25. Tel est-il, du
moins, pour le temps présent ; il n'est pas encore le
dispensateur de la béatitude et de la gloire. Ainsi se vérifie
exactement le cantique des anges qui chantaient la paix sur la terre
et la gloire dans le ciel26. Rougissez, sous un Chef
couvert d'épines, d'être un membre trop délicat. Pour votre Roi,
la pourpre est moins un honneur qu'une dérision27.
Un jour le Christ viendra ; on ne proclamera
plus sa mort28 pour nous apprendre que nous sommes morts,
nous aussi, et que notre vie est cachée en lui29. Le Chef
apparaîtra dans la gloire et ses membres, glorifiés,
resplendiront30 comme lui ; c'est alors qu'il
transfigurera notre corps humilié pour le rendre semblable à la
gloire de la Tête qu'il est lui-même31. Aspirons donc à
cette gloire, en toute certitude et de tout notre désir, de peur
qu'à nous aussi il ne soit dit : Vous recevez votre gloire
les uns des autres et vous ne cherchez pas la gloire qui vient du
Dieu Unique 32.
Mais pour qu'il nous soit permis d'espérer cette
gloire-là et d'aspirer à une si grande béatitude, il nous faut
aussi désirer ardemment les suffrages des saints, afin que leur
intercession nous obtienne comme un don gracieux ce que nos seules
forces ne peuvent atteindre.
Ayez pitié de nous, ayez pitié de nous, vous du
moins, qui êtes nos amis33. Vous connaissez nos périls,
vous savez de quelle argile nous sommes pétris34, quel
est notre aveuglement, la ruse de l'adversaire, sa violence et notre
fragilité.
8
Je m'adresse à vous qui avez traversé la même
épreuve que nous, qui êtes sortis vainqueurs des luttes où nous
sommes engagés, qui avez échappé aux mêmes pièges. Par vos
souffrances, vous avez appris la compassion. Certes, j'en ai
l'assurance, les anges, eux non plus, ne dédaigneront pas de visiter
leurs frères de race, d'autant qu'il est écrit dans le livre de
Job : Visite ta parenté et tu ne pécheras pas 35.
Mais si j'ose compter sur eux à cause de la ressemblance que nous
avons, par la substance spirituelle et par l'intellect, je crois
avoir plus de raison encore de me confier en ceux qui sont mes
compagnons d'humanité : il faut bien qu'ils éprouvent une
compassion plus spéciale et plus intime pour les os de leurs os et
la chair de leur chair36.
Celui qui a dit : Si
un membre est à l'honneur, tous partagent sa joie, a dit
également : Si un membre souffre, tous les membres partagent
sa souffrance 37. Le lien qui nous unit à eux
est donc tel que si nous nous réjouissons avec eux, ils compatissent
à notre état. Si nous régnons en eux par la communion que procure
la prière, ils combattent en nous et pour nous, par la sollicitude
de leur affection. Ne doutons pas de leur vigilance affectueuse,
puisqu'ils n'arriveront pas sans nous à la perfection38,
ils nous attendent jusqu'à ce que nous ayons reçu la récompense39 :
– au jour solennel40 où tous les
membres réunis à leur Tête divine formeront l'Homme parfait41,
– en ce même jour solennel où une même louange
unira la famille des saints42 à Jésus Christ, notre
Seigneur, qui est au-dessus de tout, Dieu béni43, digne
de louange et de gloire éternellement44.
- Ap 7, 14
- 2 Tm 2, 5
- cf. 1 Co 9, 24 ;
Ph 3, 13 - cf. Ps 85, 2
- Rm 8, 28 Vg
- Qo 9, 1
- 2 Tm 2, 19
- cf. Jn 13,18
- He 1,14
- Si 11,30
- 2 Tm 2,5
- Mt 10, 22
- cf. Jn 12,26
- cf. Ps 141,6
- Ph 3,20
- Ac 13,36
- He 12,23
- Col 3, 1
- Ps 132, 1
- Ac 4,32
- cf. Jn 17,22
- cf. Col 3, 4
- cf. Ct 3,11
- cf. Is 53, 2
- cf. 1Ch 22,9
- Lc 2, 14
- cf. Mc 15, 17-20
- cf. 1 Co 11, 26
- cf. Col 3, 3
- cf. Sg 3, 7 ;
Dn 12, 3 ; Mt 13,43 - cf. Ph 3,21
- Jn 5, 44
- cf. Jb 19,21
- cf. Ps 102, 14
- Jb 5, 24 Vg
- cf. Gn 2, 23
- 1 Co 12, 26
- He 11,40
- Ps 141,8 Vg
- Jn 7, 37
- Ep 4, 13
- cf. Ps 105,5
- Rm 9, 5
- cf. Dn 3, 56
9
Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu Mt 5, 1-12a
Quand Jésus vit toute la foule qui
le suivait,
il gravit la montagne.
Il s'assit, et ses disciples
s'approchèrent.
Alors, ouvrant la bouche, il se mit
à les instruire.
Il disait :
le Royaume des cieux est à eux !
Heureux les doux :
ils obtiendront la terre
promise !”
Homélie de saint Léon le Grand
PL 54, 461sv
Sermon 95, 2-8 sur les degrés de la Béatitude
Qu'est-ce que la doctrine du Christ ? Ses
paroles sacrées le proclament et ceux qui désirent arriver à
l'éternelle béatitude connaîtront par elles les degrés de cette
bienheureuse montée. Heureux, dit-il, les pauvres de
cœur : le Royaume des cieux est à eux. On aurait pu se
demander de quels pauvres la Vérité avait voulu parler, si, en
disant : Heureux les pauvres, elle n'avait rien ajouté
sur le genre de pauvres qu'il fallait entendre ; il aurait alors
semblé que, pour mériter le Royaume des cieux, il suffisait du seul
dénuement dont beaucoup pâtissent par l'effet d'une pénible et
dure nécessité. Mais, en disant : Heureux les pauvres de
cœur, le Seigneur montre que le Royaume des cieux doit être
donné à ceux que recommande l'humilité de l'âme plutôt que la
pénurie des ressources. On ne peut douter, cependant, que les
pauvres acquièrent plus facilement l'humilité que les riches car la
douceur est le partage des gens obscurs tandis que l'orgueil est le
lot des riches.
10
Après avoir prêché cette
bienheureuse pauvreté, le Seigneur ajouta : Heureux ceux qui
pleurent : ils seront consolés ! Les pleurs dont il
s'agit, bien-aimés, et auxquels est promise une éternelle
consolation, n'ont rien de commun avec la tristesse de ce monde et
personne ne sera rendu heureux par les lamentations que répand tout
le genre humain. Les saints gémissements ont un autre motif, les
saintes larmes une autre cause. La tristesse selon Dieu pleure soit
le péché des autres, soit le sien propre ; elle ne s'attriste
pas des effets de la justice divine, mais elle s'afflige de ce que
commet l'injustice humaine : en ce domaine, celui qui fait le
mal est plus à plaindre que celui qui le supporte, car sa propre
malice précipite l'homme injuste dans le châtiment, tandis que la
patience conduit le juste à la gloire.
Le Seigneur dit ensuite : Heureux les doux :
ils obtiendront la terre promise ! C'est aux doux et aux
bienveillants, aux humbles et aux modestes, à ceux qui sont disposés
à souffrir toutes les injustices que la possession de la terre est
promise. Et pareil héritage n'est pas méprisable puisqu'il n'est
autre que le séjour céleste. Il faut comprendre en effet que seuls
les doux entreront dans le Royaume des cieux.
11
Après quoi le Seigneur ajoute : Heureux
ceux qui ont faim et soif de la justice : ils seront rassasiés !
Cette faim ne désire rien de corporel, ni cette soif rien de
terrestre, mais elles aspirent l'une et l'autre à être rassasiées
de ce bien qu'est la justice et souhaitent être comblées par la
présence du Seigneur lui-même qui les introduira dans le secret de
tous les mystères. Heureuse l'âme qui convoite cette nourriture et
brûle du désir d'un tel breuvage.
Certes, elle n'y aspirerait pas si elle n'avait déjà
goûté quelque chose de sa douceur. En entendant l'esprit
prophétique lui dire : Goûtez et voyez : le Seigneur
est bon 1 ! elle a reçu comme une
parcelle de la divine suavité et s'est enflammée d'amour pour cette
très chaste volupté ; aussi, méprisant tous les biens
temporels, son cœur a brûlé de toute son ardeur du désir de
manger et de boire la justice et il a saisi la vérité du premier
commandement : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton
cœur, de toute ton âme et de toute ta force 2.
Aimer Dieu, en effet, n'est pas autre chose qu'aimer la justice.
12
Heureux les cœurs purs :
ils verront Dieu ! Quelle grande félicité, bien-aimés,
que celle pour laquelle on prépare une telle récompense !
Qu'est-ce donc qu'avoir le cœur pur, sinon s'appliquer aux vertus
précédemment décrites ? Mais voir Dieu, quel esprit pourra
concevoir, quelle langue pourra exprimer la nature d'un tel bonheur ?
C'est pourtant ce qui arrivera lorsque nous serons transformés :
ce ne sera plus une image obscure dans un miroir, ce sera face à
face3 ; nous verrons Dieu tel qu'il est4,
celui qu'aucun être humain n'a jamais pu voir ! Alors, dans la
joie ineffable d'une éternelle contemplation, nous posséderons ce
que personne n'a jamais vu de ses yeux ni entendu de ses oreilles, ce
que le cœur de l'homme n'a pas imaginé5.
C'est à bon droit que cette béatitude est promise
à la pureté du cœur. Le regard souillé ne pourra en effet
contempler la splendeur de la vraie lumière, et ce qui sera la joie
des âmes sans tache sera le châtiment des âmes impures. Fuyons
donc les ténèbres des vanités terrestres et purifions les yeux de
notre cœur de toute souillure du péché, afin que notre regard
limpide puisse se rassasier d'une si grande vision de Dieu.
- Ps 33,9
- Dt 6, 5
- 1 Co 13, 12
- cf. 1 Jn 3, 2
- cf. 1 Co 2, 9
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